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Web3 en France : Innovation Sous Surveillance

Treno.Finance

1. Introduction et Contexte de Marché

En France, le Web3 n’est ni diabolisé, ni sanctifié. Il est… observé. À distance. Derrière des lunettes technocratiques et un sourcil légèrement levé. On l’analyse, on le débat, on rédige des rapports. Beaucoup de rapports. Mais entre une conférence au ministère et une chronique sur BFM, une question persiste : le Web3, est-ce une révolution numérique ou juste un gadget de start-upers surmotivés ?

Le terrain est pourtant fertile. La France est le berceau de talents techniques mondialement reconnus, d’ingénieurs brillants, de mathématiciens obsédés par les algorithmes, bref, tout pour briller. Paris héberge des licornes crypto, des conférences Web3, et même des projets de NFT d’État. Mais la dynamique reste paradoxale : on encourage l'innovation, tout en serrant les freins. On applaudit les hackathons, mais on légifère avant même que les prototypes soient finis.

La population, elle, reste partagée. Une génération jeune, crypto-curieuse, éduquée sur Reddit et TikTok, côtoie une majorité plus prudente, pour qui “wallet” rime encore avec “chaîne de magasins”. Résultat : une adoption fragmentée, urbaine, souvent concentrée sur la spéculation ou les NFT de football.

Le Web3 en France, c’est un peu comme le fromage non pasteurisé : certains en raffolent, d’autres le trouvent dangereux, mais tout le monde a un avis. Et tant qu’on ne tranche pas, on reste dans l’attente, active, mais prudente.


2. Particularités du marché français

Comprendre le Web3 en France, c’est d’abord comprendre une nation qui adore la technologie... à condition qu’elle reste bien cadrée. Ici, l’innovation doit avoir un certificat, un cadre législatif et, idéalement, un cachet du ministère. La liberté, oui, mais réglementée, surveillée, rationalisée.

Le citoyen français moyen ne se jette pas dans un protocole DeFi sur la foi d’un post Reddit. Il compare, consulte, soupèse, puis attend que l’AMF publie une note officielle. Et même alors, il hésite encore. Pourquoi ? Parce que la culture française ne célèbre pas le risque individuel, elle cherche à le mutualiser. Assurance, retraite, régulation : la confiance passe par l’institution, pas par le code.

Sur le plan technologique, le pays n’a rien à envier à ses voisins. Des projets comme Ledger, Sorare ou Arianee montrent que l’excellence “à la française” peut s’exporter dans le Web3. Mais cette vitalité entrepreneuriale coexiste avec une administration méfiante, souvent plus rapide à lancer une consultation publique qu’à ouvrir un wallet.

Et puis, il y a la question existentielle : à quoi sert le Web3 quand on a déjà la carte Vitale, des aides sociales numériques et un État qui centralise tout depuis Louis XIV ? L’utopie de la décentralisation trouve peu d’écho dans un pays où l’on se tourne encore vers Paris pour valider une innovation née à Marseille.

Résultat : un marché prometteur, mais suspendu. Avec des talents, des idées, des projets… et un besoin vital de clarté, de pédagogie et, disons-le, d’un peu de lâcher prise institutionnel.



3. Risques connus (haute conscience)

En France, on n’a peut-être pas adopté massivement le Web3, mais on en a déjà bien intégré les dangers. Et pour cause : entre les scandales d’exchanges, les NFT « usines à gaz » et les influenceurs crypto en procès, il serait difficile de l’ignorer.

Premier réflexe bien français : la méfiance. Si c’est nouveau, c’est suspect. Si c’est rentable, c’est une arnaque. Si c’est à la mode, c’est déjà trop tard. Résultat : beaucoup voient dans la crypto non pas un levier d’indépendance financière, mais un terrain de jeu pour escrocs bien habillés.

Les Ponzi déguisés, les coins « communautaires » qui s’effondrent dès qu’un wallet bouge, les plateformes qui gèlent les retraits en période de stress… Le Français a appris à flairer l’entourloupe, souvent après y avoir laissé quelques euros. Et quand bien même il n’a pas été victime, il connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui s’est « fait plumer ».

Même les exchanges centralisés, pourtant supposés jouer les adultes responsables, n’échappent pas à cette suspicion généralisée. Où sont-ils basés ? Sont-ils enregistrés à l’AMF ? Et s’ils ferment demain ? C’est simple : tant que ce n’est pas domicilié en Europe, c’est traité comme un site de pari offshore.

Quant à la volatilité, elle reste un repoussoir majeur. Dans une culture économique qui valorise le livret A à 3 % et l’assurance vie à long terme, voir un actif fondre de 20 % en une nuit, c’est le cauchemar de l’épargnant.

Bref, les risques sont bien connus. Et à défaut d’enthousiasme, le public français a développé une vigilance aiguë. C’est un peu comme le fromage au lait cru : on l’adore, mais on sait très bien qu’il peut vous retourner l’estomac.


4. Risques sous-estimés ou méconnus

Les risques qui font la une, on les connaît. Mais ceux qui se faufilent en silence, dans les lignes de code et les méandres des protocoles, restent largement dans l’ombre. Et c’est là que le Web3 devient vraiment dangereux.

Commençons par la gouvernance des contrats intelligents. Beaucoup pensent participer à un système « décentralisé », mais ignorent qui décide vraiment. Spoiler : ce n’est pas l’utilisateur lambda. Dans bien des cas, les décisions sont prises par quelques porteurs de tokens, souvent anonymes, parfois fondateurs, presque toujours motivés par leur propre intérêt. Une proposition passe, un vote se joue à minuit, et soudain, les règles changent. Mais personne ne lit les propositions. Trop longues, trop techniques, trop en anglais.

Autre piège discret : la liquidité. Dans l’euphorie des rendements à deux chiffres, peu se demandent ce qu’il advient lorsqu’on veut retirer ses fonds. Dans les pools peu profonds, un retrait modeste peut suffire à provoquer un slippage abyssal. C’est un peu comme vouloir vendre son appartement en rase campagne : il y a un prix affiché… et une réalité du marché.

Les ponts inter-chaînes (bridges) sont un autre talon d’Achille souvent ignoré. Ils promettent une interopérabilité fluide entre blockchains, mais sont en réalité des zones grises de sécurité. Les hacks à plusieurs centaines de millions (Ronin, Multichain, etc.) sont là pour rappeler que le pont peut être un gouffre.

Et que dire du risque réglementaire ? En France, on aime les normes. Mais dans un secteur aussi mouvant que le Web3, l’instabilité législative est elle-même un risque. Entre un cadre MiCA encore en déploiement, les taxes sur les plus-values et les décisions de l’AMF qui tombent comme des couperets, la zone grise est vaste. Ce qui est toléré aujourd’hui peut être interdit demain. Et l’investisseur particulier risque de découvrir qu’il était, malgré lui, en infraction.

En somme : ce ne sont pas les feux d’artifice qui font le plus de dégâts, mais les courts-circuits invisibles. Dans le Web3, le danger n’est pas là où on crie, il est là où on clique sans lire.


5. Pourquoi le Web3 en France progresse prudemment

La France n’est pas hostile au Web3. Mais elle l’accueille comme un convive un peu suspect : avec des questions précises, un regard sceptique et une obsession pour les papiers en règle. Ici, l’innovation ne court pas, elle marche au pas, encadrée par des décrets et des sigles.

La prudence n’est pas une faiblesse, c’est une culture. Dans un pays où le Livret A est roi et où la fiscalité ressemble à un casse-tête byzantin, l’idée de placer ses économies dans des protocoles opaques, gérés par des pseudonymes et gouvernés par des smart contracts, a quelque chose de profondément contre-intuitif. Le Français moyen préfère un rendement modeste mais prévisible à une promesse d’indépendance financière venue d’un Discord.

Ajoutez à cela une administration fiscale qui considère la plus-value crypto comme une ligne à surveiller de très près, et qui n’hésite pas à réclamer sa part, parfois rétroactivement. Le moindre oubli peut se transformer en redressement, et personne n’a envie d’expliquer à un inspecteur que « c’était juste du farming passif ».

Et puis il y a l’aspect concret : malgré des avancées réglementaires, l’usage quotidien des cryptos reste marginal. Peu de commerçants les acceptent, les banques restent frileuses, et même les jeunes investisseurs hésitent à franchir le pas. Non pas par manque d’intérêt, mais par manque de lisibilité. Le Web3, en France, est encore un labyrinthe.

Mais tout n’est pas figé. Des projets solides émergent, portés par une nouvelle génération d’entrepreneurs plus soucieux de conformité que de buzz. L’AMF ouvre le dialogue. Certaines grandes banques expérimentent avec la tokenisation. Et dans les écoles, des cours sur la blockchain font timidement leur apparition.

En France, on ne saute pas dans la piscine sans avoir testé la température au moins trois fois. Mais une fois dans l’eau, on sait nager longtemps.



6. Recommandations pratiques

Naviguer dans le Web3 en France, ce n’est pas jouer à la loterie, c’est gérer un portefeuille dans une jungle réglementée, technique et parfois trompeuse. Le mot d’ordre : lucidité.

Pour les particuliers, la première règle est simple : ne jamais confondre potentiel et promesse. Un rendement de 20 % annualisé n’est pas une opportunité divine, mais un drapeau rouge qui clignote. Avant d’investir dans un protocole, posez trois questions : Qui le dirige ? D’où vient le rendement ? Que se passe-t-il si tout s’arrête demain ?

Côté stablecoins, méfiance éclairée. Un token à parité avec l’euro ou le dollar n’est stable que si ses réserves le sont. Cherchez des audits, des mécanismes de preuve de réserve, et un minimum de transparence sur la juridiction de l’émetteur. Sinon, vous échangez juste un risque contre un autre.

Pour les plateformes, la distinction est claire : régulées en Europe ou pas. Les acteurs enregistrés auprès de l’AMF ou opérant sous le régime PSAN offrent un cadre minimal de protection. Ce ne sont pas les plus sexy, mais ce sont ceux qui répondent quand vous envoyez un email, ce qui, dans ce secteur, est déjà un luxe.

Pour les entreprises, le Web3 ne peut plus être une expérimentation désinvolte. MiCA arrive, et avec lui un besoin de conformité, de documentation, de transparence. Ce n’est pas une punition, c’est une opportunité de se démarquer. Les boîtes qui savent expliquer ce qu’elles font, et pourquoi, auront un net avantage sur celles qui se contentent de répéter « décentralisé = mieux ».

Enfin, pour les communautés : il faut sortir du discours binaire. Moins de hype, plus de pédagogie. Expliquer les bridges, les DAO, les mécanismes de gouvernance, sans jargon ni arrogance. Rendre le Web3 intelligible, pas mystique.

En France, le Web3 ne se gagnera pas à coups de memes ou de promesses de rendement. Il se gagnera sur le terrain de la clarté, de la confiance et de la rigueur.


7. Conclusions et perspectives

La France ne sera ni la plus rapide ni la plus audacieuse sur le Web3, et ce n’est pas un défaut. Son rôle n’est pas de foncer tête baissée, mais de construire avec méthode. Ce pays excelle quand il choisit de comprendre avant d’agir, de cadrer avant d’investir. Et dans un écosystème où tout le monde court, cette prudence peut devenir un avantage compétitif.

Dans les prochaines années, l’adoption ne viendra pas d’un buzz médiatique ou d’un bull market euphorique. Elle viendra de cas d’usage concrets, de solutions intégrées dans le quotidien, de plateformes qui respectent les règles sans renoncer à l’innovation. Les banques, les entreprises régulées, les start-ups qui jouent la carte de la transparence, ce sont elles qui porteront l’écosystème.

Mais cela ne suffira pas. Il faudra aussi que le discours change. Que le Web3 ne soit plus vu comme un terrain de jeu pour spéculateurs ou libertaires, mais comme un outil au service de besoins réels : inclusion financière, efficacité des échanges, souveraineté numérique. Cela suppose une maturité nouvelle, de la part des acteurs comme des utilisateurs.

La France peut devenir un modèle de développement raisonné du Web3. Pas le plus flamboyant, mais le plus stable. Pas le plus bruyant, mais le plus crédible. Et dans un secteur encore fragile, cette crédibilité pourrait bien valoir plus que tous les rendements promis.